Bonjour, Je vais commencer cette histoire comme toutes les belles histoires turques par la formule « Il était » « Il était pas »Istanbul.
Nous suivons notre itinéraire de la route de soie par cette citée impériale qui constitue à elle seule un univers au charme indéfinissable.
Une condition pour l’apprécier, accepter de régler ses pas au rythme de sa vie quotidienne, plonger sans intermédiaire dans le pittoresque ou le mystère de ses ruelles, de ses cafés, dans la magie de ses palais. Régler le rythme à la flânerie, à l’usage des sens et aimer cela. Ici, même le café a besoin de temps pour se livrer. Alors, prenez le pouls de la vie, n’écouter que vos sens. Je suis enfin dans l’ancienne Constantinople, j’abandonne sans regret mon appareil photo car jamais ce que je vois, ce que je sens, ce que je vis ne pourra rendre à cette vue sa réalité. Imaginez, exagérez, vous resterez toujours en deçà de la vérité.
Comme je vous dois mon très cher ami une partie de mon plaisir alors écoute, vois, sens, nous sommes sur le Bosphore. Montons dans ce vapur, voulez-vous ? Il n’est rien de comparable, à cette promenade faite en deux heures sur cette ligne d’azur tirée comme limite entre l’Europe et l’Asie qu’on découvre en même temps. Le Bosphore ou encore le passage de la vache, (Ce nom lui a été donné par HERA, non pas HERA mon association mais HERA cette déesse jalouse pour se venger de la maîtresse de son mari transformée en vache, lui envoie un taon qui la rend si folle qu’elle court vers le sud et creuse ainsi le canal, le Bosphore) Il est en réalité une voie de communication entre la mer noire et la mer blanche par la mer de Marmara, la mer de marbre.
Ce que j’ai ressenti en le voyant ce n’est pas ce sentiment de respect et presque de terreur quand j’ai admiré l’océan ou les alpes ou encore les déserts asiatiques, c’est cette extase qui enflamme quand par une fraîche matinée le regard se promène sur une vallée de fleurs humide de rosée, pleine de parfums. Sur les rives du Bosphore la nature est souriante et vous charme. Il a fallu beaucoup de dextérité au capitaine de notre navire pour manœuvrer entre toutes les embarcations légères ou lourdes, mais en quelques coups de piston nous gagnons le large et alors nous filons librement entre une double ligne de palais, de kiosques, de villages, de jardins, de collines sur une eau vive, mélange d’émeraude et de saphir où notre sillage fait éclore des millions de perles, sous un ciel le plus beau du monde. Les voiliers comme les mouettes nagent tantôt en groupe, tantôt isolément sur le canal, se croisent en tout sens, allant de l’Europe à l’Asie, ils fendent les vagues et jouent avec les ailes des oiseaux. Ce paysage est vivant, les immeubles dans un ensemble parfait vibrent au toucher des rayons du soleil. Les collines peintes par l’arc en ciel, semblent avoir été taillées pour le plaisir des yeux .
Sur la rive d’Europe se succèdent des palais de style européen, le premier, le palais Dolmabahçe c’est là que le père de tous les Turcs s’est éteint, le vide qu’il a laissé se commémore tous les 10 novembre à 9:05 précise depuis 1938. On aperçoit bientôt le palais Ciragan sarail, cette construction grandiose, dont le large escalier blanc qui descend jusqu’à la mer produit un assez bel effet. Autant de palais que de diamants dans un écrin de velours turquoise. En face, sur la cote d’Asie, plus boisée, se prolonge une ligne de villages, de palais d’été et de kiosques ombragés de platanes d’arbousiers et de frênes. Une charmante fontaine en marbre blanc, toute brodée d’arabesques, toutes historiées d’inscriptions en lettres d’or, coiffées d’un grand toit à forte projection et de petits dômes surmontés de croissants, désigne aux voyageurs cette promenade favorite des Stambouliotes. Assis au bord du quai ils fument, boivent du café surveillant du coin de l’œil l’autre rive à la fraîcheur du Bosphore.
Plus on avance, plus les tableaux se livrent plus ravissants encore. Il serait trop long de décrire l’un après l’autre tous ces villages qui se suivent et se ressemblent. C’est toujours une ligne de maisons en bois colorées qui le long du quai trempent leur pied dans l’eau quand la route s’interrompt. Se détachant sur un tableau de riche verdure s’élancent le minaret d’un marabout ou d’une petite mosquée. Les palais d’été et riches demeurent peuvent être de bois et de colonnes taillées dans un seul bloc de marbre de Marmara. Ils n’en sont pas moins élégants avec leurs étages en surplomb, leur saillies et leurs retraits, leurs kiosques à toits chinois, leurs pavillons à treilles, leurs terrasses ornées de vases.
Au delà, les collines aux pentes douces s’élèvent vers l’azur. Le Bosphore est plein de courant dont les directions varient et lui donnent plutôt l’apparence d’un fleuve que d’un bras de mer. Voilà à l’horizon, la tour Léandre que je préfère appeler Tour de la fille, elle émerge bientôt avec sa silhouette blanche, sur le fond turquoise des eaux. La Tour Galata nous fait un clin d’œil avec son toit conique brillant au soleil. Ca et là quelques minarets blancs élèvent leur flèches semblables à des mâts de vaisseau.
Si beau soit-il, ce panorama se magnifie à une certaine heure, lorsque le soleil s’incline dans une révérence quand il laisse la place aux tièdes nuits d’Orient. Alors le voyageur bercé par les flots, inspiré par le calme, s’échappe et son esprit s’envole dans des rêves que seuls connaissent les enfants. Il emprisonne dans le fond de son cœur, tous les plaisirs ressentis qu’il libérera à l’hiver de sa vie. Comme tout est doux, harmonieux, élégant, riche, paisible comme je vais regretter de débarquer.
Toute personne qui circule dans la ville pour ses affaires est obligée de traverser plusieurs fois la mer dans sa journée. C’est pourquoi comme des traits d’union, 3 ponts relient Europe à Asie. Et comme ce n’était pas suffisant, un rêve fou pour lequel le temps a pris 154 ans est devenu l’une des plus modernes réalités. Il compte un nombre considérables d’innovations. Je veux parler de Marmaray, du tunnel bimodal qui passe sous le Bosphore. Faute de temps, je vous décrirai dans mon prochain livre « Une femme sur la route de la soie », ce rêve fou, et la magnificence de cette réalité. Alors omettre le trait d’union est une erreur que l’union des européens a commise et hélas continuera à commettre. Si comme le disait Paul Valery l’Europe est la plus belle péninsule de l’Asie, elle oublie souvent qu’elle commence au pays Breton et se finit quelque part en Turquie. Si nous faisions appel à l’essentiel bon sens nous remettrions le trait d’union à sa place.
Je voudrais finir par une philosophie de Nasreddin Hodja. Le monde ne manque pas de curieux. L’un d ’eux posa un jour cette question à Nasreddin hodja : Toi qui es la sagesse même pourrais-tu me dire pourquoi dès que le soleil pointe à l’horizon, les hommes sortent de leurs maisons, vont de-ci de-là qui à droite qui à gauche ?
C’est facile à comprendre répondit Nasreddin, s’ils allaient tous du même côté la terre perdrait son équilibre !.